Phares en mouvement
Par Laurent Dalimier le dimanche, novembre 10 2013, 17:28 - Conférences - Lien permanent
Conférence de Vincent Guigueno, à la maison des X, 16 octobre 2013
Comment a été constitué notre réseau actuel ?
Précédés par les britanniques qui très tôt ont bâti leur réseau autour d’un modèle économique de délégation de service public, les Français ont, à partir de la Révolution, opté pour un service des phares public et gratuit. Ainsi, tandis que les ports britanniques balisaient leurs approches au fur et à mesure que les droits de feux le leur permettaient, les côtes de la France étaient-elles, au 19e siècle, méthodiquement et continûment jalonnées, de dangers en amers : par 150 phares, dont 75 en Bretagne et 25 en mer, qui constituent notre actuel patrimoine...
Ceci sans compter 6400 aides à la navigation entretenues par l’Etat.
C’est pour sécuriser leur approvisionnement puis rationaliser leurs coûts, que les feux français sont passés du foyer de charbon, à la lampe à huile, au gaz, puis au pétrole sous pression (fin 19e), enfin à l’électricité (La Hève, 1860). Augustin Fresnel, premier secrétaire de la Commission des Phares, instaurée en 1811, a généralisé à partir des années 1820, sa lentille à échelons . 75% des optiques de signalisation du monde étaient françaises, fabriquées par les entreprises Sautter, Lepaute et Barbier, Bénard et Turenne (BBT). .
Les phares sont aujourd’hui moins utiles.
Même les phares les plus puissants (Le Créach, 500 millions de bougies en 1939) sont inopérants par temps de brume. Les signaux sonores, la radionavigation au début du XXème siècle, le radar après la Seconde Guerre mondiale, puis le GPS et l’AIS, se sont développés. A la fin du XXème siècle l’automatisation des derniers phares en mer, d’Ar Men (1990) à Kéréon (2004), a, en seulement 20 ans, fait disparaître le métier de gardien de phare. Dans le même temps, la Direction des Phares, organisée par Léonor Fresnel (1790-1869), puis Léonce Reynaud (1803-1880) disparaît. Aujourd’hui, subsiste seulement au sein de la Direction des affaires maritimes un Bureau des Phares et Balises, et les phares, monuments passifs, sont perçus comme moins utiles en termes de sécurité de la navigation que le service actif des CROSS.
Pourtant, ils restent, de génération en génération, un enjeu patrimonial et émotionnel. On n’éteint pas facilement un phare ! Mais comment valoriser ce patrimoine ? En 2012, la trentaine de phares ouverts au public auront reçu plus de 750000 visites. Le Ministère de l’Ecologie, gestionnaire historique, maintient les feux en »condition opérationnelle », mais n’a plus les moyens de cirer les parquets de Kéréon! Il n’y a pas de solution uniforme, et la question est bien de savoir qui a la volonté et les moyens, matériels et humains, de les entretenir.
A qui confier la clé du phare ?
Le Ministère de la Culture a classé ou inscrit plus de 90 phares Monuments Historiques. Il finance d'importants travaux à Cordouan (33), en partenariat avec les collectivités territoriales, et au Stiff (29). Le Conservatoire du Littoral, dont les ressources sont en baisse, a bénéficié du transfert de huit phares en 2013. 9 sont à l’étude. Les associations de sauvegarde du patrimoine passeront-elles du stade de l'alarme, justifiée, à celle de l'action concrète ? Tévennec est un test pour la Société nationale pour le patrimoine des phares : cette dernière aura-t-elle seulement les moyens d’y accéder régulièrement ?
La Mission phares a entrepris de mobiliser tous les gestionnaires actuels de phares, pour confronter les expériences, chercher de nouvelles solutions, et pourquoi pas susciter des mécénats. Si vous avez des idées, si vous avez un projet de « startup » n’hésitez pas à en parler ….!
Vincent Guigueno (88), X, Ponts civil, docteur en histoire Paris 1, chargé de mission « Patrimoine des Phares » à la Direction des Affaires Maritimes fait partie de ces X atypiques, aux multiples talents (ingénieur, organisateur, historien, chercheur, professeur et auteur) qui savent enchanter un auditoire, entre humour et pédagogie..
Quelques questions dans la salle
Y a-t-il une obligation de signalisation ? Oui, la règle 13 "mise en place et fonctionnement des aides à la navigation" du chapitre V "sécurité de la navigation" de la convention SOLAS (safety of life at sea). Mais celle-ci est très peu contraignante pour les États côtiers, beaucoup moins que dans d'autres domaines de la sécurité maritime (État du port et État du pavillon).
Comment réagissent les marins ? Ils participent à la plainte contre l'Etat, mauvais gestionnaire du réseau des phares. En revanche, ils ne contribuent pas et ne souhaitent pas contribuer à l'entretien du réseau comme usagers. L'introduction de « droits de feux » est un serpent de mer administratif et l'échec de la modification au profit du Conservatoire du Littoral de l'assiette du Droit Annuel de Francisation des Navires (DAFN), à l'exception des scooters des mers, désormais taxés, montre que la question du financement des travaux dans les phares est loin d'être réglée.
Pourrait-on en faire des colombariums ? Pourquoi pas, mais cela a été tenté sans succès aux USA. A titre personnel, le conférencier trouve que cet usage n'est pas à encourager dans ce qui fut un lieu de vie, et d'espoir pour les marins .
Et un musée de la contrebande ? Pourquoi pas, l’île du Pilier était un haut lieu historique des contrebandiers à l'entrée de l'estuaire de la Loire. Plus sérieusement, la vacance de certains locaux dans les phares les plus isolés peut conduire à des « usages » incontrôlés : squats, trafics... C'est le degré minimum de responsabilité de l’État de l'éviter.
Le savoir faire industriel notamment optique, fait-t-il partie du patrimoine ? Absolument. Le leader mondial des optiques de phares, du début du siècle, BBT, a fermé en 1982. De nombreux objets témoignent de ce passé scientifique et industriel. Ils sont conservés à Paris (Musée de la Marine) et Ouessant (Musée des phares) et mériteraient une meilleure visibilité.
Les anglais ont-ils les mêmes problèmes ? Oui, leur modèle économique périclite. leurs phares sont vides. En revanche, comme le service des phares anglais, Trinity House, est un établissement public quasi-propriétaire de ses biens, la reconversion des phares est plus dynamique.
Si vous voulez en savoir plus :
Conférence de Vincent Guigueno à l'UPF
Grenelle de la Mer
Site des Phares de France
Site du Phare de Cordouan
LinkedIn : Vincent Guigueno